Pourquoi l'arrêt Blanco est-il considéré comme la pierre angulaire du droit administratif français ?
L’arrêt Blanco, rendu par le Tribunal des conflits le 8 février 1873, est souvent présenté comme la décision fondatrice du droit administratif français.
Il a établi des principes essentiels concernant la responsabilité de l’État et la compétence du juge administratif.
Mais en quoi cet arrêt est-il si crucial, et quelle est sa portée dans la jurisprudence actuelle ? À quoi ressemble une fiche d’arrêt de cet arrêt mythique ? C’est ce que nous allons explorer ensemble.
Table des matières
Rappel de méthodologie de la fiche d'arrêt
Il y a en général 5 étapes dans la méthodologie de la fiche d'arrêt. Bien que la méthode varie légèrement en fonction de l'enseignant, vous ne pouvez pas vous tromper en respectant les étapes suivantes :
- La présentation
- Les faits
- La procédure et les moyens
- Le problème de droit
- La solution
L'apport de l'arrêt Blanco
L’arrêt Blanco établit que l’État peut être tenu responsable des dommages causés par ses services publics. Cela met fin au principe d’irresponsabilité de l’État pour ses actes de puissance publique.
Il affirme la compétence exclusive de la juridiction administrative pour juger les litiges impliquant la responsabilité de l’État dans le cadre des services publics.
L’arrêt consacre l’autonomie du droit administratif en stipulant que la responsabilité de l’État ne peut être régie par les règles du droit civil, mais par des règles spéciales.
Il établit un lien entre la compétence juridictionnelle (administrative) et le droit applicable (droit administratif), ce qui renforce la cohérence du système juridique.
L’arrêt Blanco illustre le caractère prétorien du droit administratif français, démontrant le rôle crucial de la jurisprudence dans son développement.
0. L'arrêt Blanco du 8 février 1873
Tribunal des conflits - n° 00012
Publié au recueil Lebon
M. Mercier, rapporteur
M. David, commissaire du gouvernement
Lecture du samedi 8 février 1873
REPUBLIQUE FRANCAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu l'exploit introductif d'instance, du 24 janvier 1872, par lequel Jean Y... a fait assigner, devant le tribunal civil de Bordeaux, l'Etat, en la personne du préfet de la Gironde, Adolphe Z..., Henri X..., Pierre Monet et Jean A..., employés à la manufacture des tabacs, à Bordeaux, pour, attendu que, le 3 novembre 1871, sa fille Agnès Y..., âgée de cinq ans et demi, passait sur la voie publique devant l'entrepôt des tabacs, lorsqu'un wagon poussé de l'intérieur par les employés susnommés, la renversa et lui passa sur la cuisse, dont elle a dû subir l'amputation ; que cet accident est imputable à la faute desdits employés, s'ouïr condamner, solidairement, lesdits employés comme co-auteurs de l'accident et l'Etat comme civilement responsable du fait de ses employés, à lui payer la somme de 40,000 francs à titre d'indemnité ;
Contexte historique de l'arrêt Blanco
Le Cadre Historique
Au XIXᵉ siècle, l’État français jouissait d’une quasi-irresponsabilité pour les dommages causés par ses agents. Les actes de puissance publique étaient considérés comme intouchables par les juridictions ordinaires. Cependant, l’évolution de la société et l’expansion des services publics ont rendu nécessaire une réévaluation de cette position.
Les Faits de l’Affaire
En 1871, la jeune Agnès Blanco est gravement blessée par un wagonnet appartenant à la manufacture des tabacs de Bordeaux, gérée par l’État. Son père décide de poursuivre l’État et les employés responsables pour obtenir réparation du préjudice subi.
Procédure juridique de l'arrêt
Actions Entreprises par le Père d’Agnès Blanco
Le père d’Agnès assigne l’État et les employés de la manufacture devant le tribunal civil de Bordeaux le 24 janvier 1872, invoquant les articles 1382 à 1384 du Code civil relatifs à la responsabilité civile.
Réaction du Préfet
Le préfet de la Gironde émet un déclinatoire de compétence le 29 avril 1872, estimant que le tribunal civil n’est pas compétent pour juger cette affaire. Après le rejet de ce déclinatoire par le tribunal, le préfet prend un arrêté de conflit le 22 juillet 1872, saisissant ainsi le Tribunal des conflits.
Saisine du Tribunal des Conflits
Le Tribunal des conflits est alors appelé à trancher sur la question de compétence : est-ce le juge civil ou le juge administratif qui doit connaître de l’affaire ?
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Les enjeux juridiques de l'arrêt blanco
Problématique Centrale
Quelle juridiction est compétente pour juger de la responsabilité extracontractuelle de l’État en cas de dommages causés par ses agents dans le cadre d’un service public ?
Arguments des Parties
Position du Préfet :
- La responsabilité de l’État, liée au fonctionnement des services publics, relève de règles spéciales distinctes du droit civil.
- Les tribunaux civils n’ont pas compétence pour connaître des litiges impliquant l’État dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique.
Arguments de M. Blanco :
- L’État et ses agents doivent être soumis aux mêmes règles de responsabilité que les particuliers, conformément aux articles 1382 à 1384 du Code civil.
- Le tribunal civil est donc compétent pour juger l’affaire.
La décision du tribunal des conflits
Solution Retenue
Le Tribunal des conflits, dans sa décision du 8 février 1873, déclare que la responsabilité de l’État pour les dommages causés aux particuliers par les services publics ne peut être régie par le Code civil. En conséquence, il affirme la compétence exclusive du juge administratif pour connaître de l’affaire.
Motivation de l’Arrêt
- Spécificité des Règles Applicables : La responsabilité de l’État a des règles particulières, adaptées aux besoins du service public et à la conciliation entre les droits de l’État et ceux des particuliers.
- Autonomie du Droit Administratif : Les relations entre l’administration et les administrés nécessitent un droit distinct du droit privé, justifiant ainsi une juridiction spécialisée.
Principes Établis
- Principe de la Spécificité du Droit Administratif : Reconnaissance d’un corps de règles propres au droit administratif.
- Liaison de la Compétence et du Fond : La compétence juridictionnelle est liée à la nature du droit applicable.
Proposition de fiche d’arrêt de l’arrêt Blanco
1. La présentation de l’arrêt
2. Les faits
3. La procédure
4. Les moyens
Le préfet considère dans son arrêté de conflit que la juridiction administrative est compétente pour connaître du litige selon deux moyens.
D’une part, il convient d’apprécier la part de responsabilité incombant aux agents de l’Etat selon les règles variables dans chaque branche des services publics.
D’autre part, les tribunaux ordinaires n’ont pas compétence pour connaître des demandes tendant à constituer l’Etat débiteur en vertu de la législation postrévolutionnaire.
5. Le problème de droit
6. La solution
Le Tribunal des conflits considère que la responsabilité, qui peut incomber à l’Etat, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier.
Nuances de l’arrêt Blanco
Malgré son rang d’arrêt majeur du droit administratif français, la portée de l’arrêt Blanco s’est vue limitée, nuancée, relativisée au fil de la jurisprudence et des règles de droit (c’est important les synonymes pour tes commentaires d’arrêts 😂).
Désormais, le juge judiciaire est compétent pour connaître de l’activité des SPIC, qui se voient appliquer le droit civil.
• Le service public puise l’essentiel de ses ressources financières dans les redevances payées par ses usagers.
Par exemple, la transformation du service des tabacs en entreprise publique en a fait un service public à caractère industriel et commercial si bien qu’une solution différente serait aujourd’hui appliquée à l’espèce de l’arrêt Blanco.
Il en va de même pour les services publics gérés par des personnes privées qui relèvent en principe des juridictions judiciaires, à moins que le gestionnaire ne dispose de prérogatives de puissance publique auquel cas le service public relève du juge administratif. (CE 23/03/1983 « S.A. Bureau Véritas »).
Cette répartition des compétences est encore chamboulée par la loi du 31 décembre 1957 qui attribue au juge judiciaire la compétence pour statuer sur les actions en responsabilités des dommages causés par tout véhicule. Cette loi aurait surement changé la solution de l’arrêt Blanco avec son wagonnet rempli de tabacs.
Enfin, précisons que la responsabilité de l’État instaurée par l’arrêt Blanco n’est pas absolue, loin de là. Par exemple, l’arrêt « Société Touax » rendu le 23 juillet 2010 par le Conseil d’État a rappelé que l’État ne peut pas engager sa responsabilité dans le cadre de ses opérations militaires.
Disons qu’en L2, ça met une petite claque derrière la tête. 😵
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